mercredi 1 octobre 2014

LEGRE MANTE - ARTICLE MARSACTU - Par Benoît Gilles, le 30 septembre 2014


Cap Marin à Legré Mante : les dessous d'un retrait de permis

Il y a quelques jours, le promoteur Océanis annonçait par voie de communiqué le retrait du permis de construire de l'opération Cap Marin, situé sur l'ancien site pollué de l'usine Legré Mante, à la Madrague de Montredon. Désormais effectif, ce retrait rebat les cartes de l'avenir de cette friche industrielle et repose la question de la prise en charge de la dépollution.
Flickr/Sophie Roques


Finie la carte postale des belles villas accrochées à la colline de la Madrague de Montredon avec le bleu marin pour seul horizon. Annoncé mi-septembre par le promoteur Océanis, le retrait du permis de construire de l'opération Cap Marin renvoie les plans sur l'avenir de l'ancien usine Legré Mante à ce qu'elle est toujours aujourd'hui : une friche polluée par des siècles d'activités industrielles. Or, depuis cette communication d'Océanis, l'ensemble des acteurs institutionnels fait silence tant sur les circonstances qui ont provoqué ce retrait que sur ses conséquences.
Sur le passé d'abord. Peu habitué à communiquer sur ses projets, le promoteur s'en tient aujourd'hui à un commentaire limité des raisons de ce retrait. "Les choses sont assez claires : en juillet, nous avions un permis valablement obtenu. Cela signifie que les travaux auraient pu immédiatement commencer." Or, dans la foulée de l'obtention de ce nouveau permis, limité à 250 logements, l'opposition des riverains reprend de plus belle avec le dépôt de nouveaux recours gracieux et contentieux. Or, "si une réalisation doit se faire, nous souhaitons qu'elle se fasse dans un esprit de partenariat en bonne intelligence avec le voisinage comme avec l'ensemble des élus", commente-t-on encore du côté d'Océanis.

Contrôle de légalité prolongé

Il ne leur a pas échappé qu'un certain nombre d'élus locaux d'opposition étaient au côté des habitants pour contester le permis accordé par la Ville à ce projet immobilier. Le 10 août dernier, l'ancienne conseillère communautaire communiste et toujours élue de secteur Marie-Françoise Palloix était présente pour manifester devant les grilles de l'usine. Le lendemain, l'élue recevait un courrier du préfet de région. Dans cette lettre, Michel Cadot lui précise que ledit permis fait toujours "l"objet d'un examen attentif de [ses] services au titre du contrôle de légalité dont le délai expire au 3 septembre". Et il ajoute :
Les conclusions de ce contrôle m'amèneront, si nécessaire, à formuler des remarques et demandes d'informations complémentaires qui prolongeront le délai qui m'est imparti pour finaliser le contrôle de légalité. 
Le préfet conclut le courrier en évoquant la possibilité d'une réunion de l'ensemble des acteurs "à la rentrée 2014". Une date est même fixée. "Nous avons eu une invitation pour le 5 septembre, raconte l'élue communiste. Or, la veille, j'ai eu un mail de son cabinet pour me dire que la réunion était annulée sans plus d'explications. Je me suis dit : « Aïe ! Il y a engambi »". Marie-Françoise Palloix n'entend alors plus parler de réunion jusqu'à l'annonce d'Océanis.
Or, d'après des informations que nous n'avons pas pu recouper auprès de la préfecture, la Ville aurait reçu un courrier du préfet qui annonçait prolonger ce contrôle de légalité, mentionnant notamment une attention ministérielle appuyée sur le suivi de la dépollution du site. Cette mention - si elle est avérée - peut faire référence à l'action d'une autre élue du secteur, la conseillère municipale socialiste Annie Levy-Mozziconacci. Toujours dans la foulée de la manifestation devant les grilles de l'usine, cette dernière a écrit à la ministre de l'Écologie, Ségolène Royal et à sa collègue de la Santé, Marisol Touraine. "Je me suis saisie du dossier en le regardant avec l'oeil du médecin. J'ai donc écrit ce courrier aux ministères notamment pour que soit mise en place une commission d'experts indépendants qui réalise une étude d'impact de la dépollution." Du côté du ministère de l'écologie du développement durable, et particulièrement de la direction de prévention des risques, on ne confirme pas être intervenu dans un dossier "dont la règle et qu'il doit être suivi à l'échelon local par la Direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement".

"Il faut un projet immobilier"

Suite, ou pas, à ces courriers, la Préfecture a fait savoir à la Ville que le projet n'était pas réalisable en l'état. Début septembre, des réunions ont donc eu lieu entre les services concernés pour trouver une issue positive. C'est à la suite de ces rencontres que le promoteur a pris la décision de retirer son permis, facilitant une réécriture plus concertée.
Le maire de secteur, Yves Moraine, préfère se réjouir de ce nouveau tournant : "Il faut se féliciter de la façon dont les services de l'Etat sont intervenus dans ce dossier. Certains auraient pu mal le prendre mais, je crois au contraire que cela doit nous permettre d'obtenir la plus grande unanimité possible sur le devenir du site". Même s'il s'en défend, cette attitude tranche avec la façon dont le projet était soutenu jusque-là par la Ville. Ainsi, printemps 2013, la veille de l'audience du tribunal administratif qui devait statuer sur un recours à l'encontre d'un précédent permis, la Ville avait accordé un permis modificatif qui répondait à certains griefs des plaignants. Visiblement, Ville et Etat souhaitent sortir le dossier Legré Mante de cette ornière judiciaire. "Certes, on aurait pu se dire qu'il suffisait d'attendre la décision du tribunal administratif sur les recours mais ce n'était satisfaisant pour personne, constate le maire de secteur. En revanche, je soutiens mordicus qu'il faut un projet immobilier pour mettre fin à cette verrue urbaine." Quitte à ce qu'un comité de suivi soit mis en place avec les riverains "et un médecin" pour suivre l'ensemble des travaux. 
Sa collègue, adjointe à l'urbanisme, Laure-Agnès Caradec pagaie dans le même sens : "Nous sommes prêts à travailler collégialement à une solution qui puisse convenir à tout le monde en terme d'accessibilité mais aussi de raccordement au réseau d'assainissement et bien sûr de dépollution." En passant, l'élue glisse le montant de la facture supposée des opérations de dépollution "évaluée entre 14 et 16 millions d'euros". Et c'est là le noeud du problème.

Qui va payer la dépollution ?

Jusque-là, Océanis avait annoncé être prêt à assumer le coût de la dépollution du site en lieu et place du propriétaire avec qui une convention avait été signée. D'après nos informations, sa mise en oeuvre est soumise à une condition : obtenir un permis valide avant d'entamer les travaux. Or, à partir du moment où leur permis est retiré, plus rien ne les oblige à mettre un centime sur le site. "Nous sommes bien clairs sur ce point : ni l'Etat, ni la Ville ne paiera la dépollution, reprend Yves Moraine. C'est l'affaire du promoteur et du propriétaire qui doivent la faire réaliser dans les règles édictés par les services de l'Etat". Si Océanis ne peut pas réaliser le projet immobilier à la hauteur de ces coûts initiaux, c'est à l'Etat que va revenir la charge de faire dépolluer le terrain par son ancien propriétaire, la société SFPTM. Son dernier dirigeant connu est Benjamin Margnat, l'un des héritiers de la société spécialisée dans le commerce viticole qui a acquis l'usine marseillaise à la fin des années 70.
Or, dans un jugement d'octobre 2010 déjà cité par Marsactu le tribunal de commerce mentionnait : "la Société française des produits tartriques Mante (SFPTM) s’engage à reprendre toutes les formalités et opérations de dépollution qui auraient normalement dues incomber à l'ancien exploitant du site". Le propriétaire se substitue donc - sur le plan légal - à l'ancien exploitant liquidé en 2009. Le principe est celui du pollueur-payeur. A la charge de l'Etat de le faire respecter. "C'est pour cette raison que je suis pour un projet immobilier, explique encore Moraine. Cela permettra de payer la charge foncière qu'un marché aux potiers ne pourrait pas assumer".
Quel que soit le projet qui voit le jour sur les pentes des collines de Marseilleveyre - musée, maison des calanques, parc urbain, lotissement de taille réduite ou parking pour promeneurs - il faudra que le terrain soit dépollué et accessible. Tout le monde est donc d'accord pour tourner la page industrielle du site dans la plus grande sérénité. Celle qui suit est toujours blanche avec un gros chèque à payer pour qu'un nouveau projet y soit dessiné.
Par Benoît Gilles, le 30 septembre 2014