vendredi 27 juin 2014

Article édifiant de Julien Vinzent /Marsactu: Bar musical de l'Escalette : l'État et la Ville ont laissé faire le bétonnage


Bar musical de l'Escalette : l'État et la Ville ont laissé faire le bétonnage

En surplomb de la calanque du Mauvais pas, les travaux se succèdent depuis plusieurs années autour d'un ancien blockhaus. Dernier avatar, un projet de bar musical est stoppé net par l'intervention du parc national des Calanques. Site industriel pollué, légèreté des contrôles de l'État, relents de grand banditisme : tous les ingrédients d'un cocktail chargé.
Julien Vinzent/Marsactu

Un plateau à flanc de rochers, trois blockhaus, dont un reconverti en resto, de mystérieux blocs de béton cylindriques, des structures métalliques. Cette scène surréaliste s'offre aux regards des plaisanciers qui longent le port de l'Escalette (8e arrondissement) à l'entrée des calanques de Marseille. Ce chantier sauvage a dû s'arrêter sur injonction du parc national il y a quelques jours. Mais toute cette histoire a un air de déjà-vu pour les riverains de la route des Goudes. À Noël 2012, ils avaient fait stopper un tractopelle qui opérait en face, côté collines, pour un projet de galerie d'art sans aucune autorisation. Déjà, se mélangeaient un ancien site industriel pollué, un porteur de projet douteux, un certain relâchement des services officiels... et un emplacement de rêve. Le Belvédère, petit nom de cette parcelle de 15 000 m2  qui plonge dans la calanque du Mauvais Pas décuple ces éléments dans un cocktail capiteux.
Cela fait plusieurs années déjà que le site suscite des projets : restaurant dans la continuité de l'établissement fermé en 1988, salle des mariages et dernièrement "bar musical", traduit par beaucoup en "boîte de nuit". D'où ce recadrage de Jean-Claude Mendossa, directeur du Bazar (boulevard Rabatau) et futur locataire de "La Marina" - si toutefois le projet réussit :
Ce n'est pas une discothèque que l'on fait mais un bar musical qui fermera à 2 heures du matin. On ne va pas refaire la Maronaise, il faut arrêter de raconter n'importe quoi ! On fait les choses professionnellement, les autorisations [de musique amplifiée] ne sont accordées que pour 3 ou 4 mois, ce n'est pas dans notre intérêt de faire n'importe quoi.
L'idée a reçu le soutien notable d'Yves Moraine, le maire UMP du 6/8. Ou plutôt l'absence de "refus de principe, corrige-t-il. On ne peut se plaindre que Marseille est un désert nocturne et refuser l’ouverture d’un bar, surtout dans une zone où la densité urbaine est peu importante."
Rien à voir avec le fait que Jean-Claude Mendossa ait fait la campagne de l'UMP dans le 6/8, au moins sur son compte Twitter personnel... "Je l'ai vu une fois pendant la campagne, je ne le connaissais pas et on me l'a présenté. Mais ce n'est qu'il y a quelques semaines - alors qu'il avait déposé le dossier en novembre auprès de l'adjointe à la police municipale - que j'ai été prévenu du projet et qu'il est venu me voir. Je l'ai aussi écouté d'une oreille attentive parce que j'avais assisté à une assemblée générale du CIQ Rabatau où la présidente l'a remercié d'avoir pris les choses en main sur le stationnement, le bruit, les bagarres... Je me suis dit qu'il devait être un bon professionnel."

Des autorisations de l'État

Tout ceci est de toute façon "en stand-by dans l'attente des autorisations", dixit Jean-Claude Mendossa. Il s'agit cette fois-ci des feux verts nécessaires pour engager des travaux, dont le propriétaire du terrain est censé se charger. C'est là que le dossier prend une tournure beaucoup plus épineuse.
Historiquement, la transformation en restaurant de ce blockhaus de la Seconde guerre mondiale a été faite hors de tout cadre légal. Fermé en 1988, il a été racheté dix ans plus tard par Jean Levakis, gérant de nombreuses sociétés immobilières et dont le nom était encore récemment associé au golf Borély. Au fil des années, les travaux se succèderont, au grand dam des riverains et de certains élus, notamment communistes, pour qui tout cela se fait "sans permis".
Des permis, il y en a pourtant bien eu. L'État, compétent à la place de la mairie en matière d'urbanisme car le terrain est situé dans le site classé des Calanques, a donné son accord... du moins jusqu'à un certain point. En 1998, un mur de clôture de deux mètres de haut est monté. Entrave "à l'accès au domaine public maritime", s'étonnent les riverains. Consultée par Marsactu aux archives municipales[1], la déclaration préalable de travaux a pourtant été signée par le secrétaire général de la préfecture, après avis favorable de l'architecte des bâtiments de France et de la commission départementale des sites. Seul l'Atelier du patrimoine de la ville de Marseille a, par deux fois, signifié son désaccord.

Dépollution bâclée

Rebelote en 2008, année où s'accélère vraiment le projet. Il s'agit cette fois-ci de retaper l'ancien restaurant : pose d'enduit sur les façades, changement des volets etc. Ce qui fut fait, factures de la Société de rénovation d'immeubles (appartenant à Jean Levakis) à l'appui. Le problème, c'est qu'il ne s'est pas arrêté là. Selon nos informations, il était en contact étroit avec les services régionaux du ministère de l'Écologie pour la dépollution du terrain, où se situait il y a un siècle la Manufacture des glaces et produits chimiques Saint-Gobain. Le site conserve de nombreux polluants, notamment des métaux lourds, qui nécessitent un travail en concertation avec les services de l'Etat. Peu scrupuleux, le propriétaire a fini par couler du béton, sans en aviser les services concernés et surtout sans en respecter les préconisations. En 2012, un candidat au rachat a renoncé devant l'ampleur des travaux de dépollution à réaliser, la première mouture étant loin d'être conforme. Contactée par nos soins, la préfecture des Bouches-du-Rhône n'a pas souhaité s'exprimer.

Le "sarcophage" censé confiner la pollution (photo ci-dessus) dépasse en tout cas largement le coup de peinture présenté dans le dossier. En le compulsant aux Archives municipales[2], on s'étonne d'ailleurs de découvrir derrière la façade ce qui ressemble à une seconde demande de travaux : certains plans évoquent la "sécurisation de pieds de talus", des "apports de terre", une "plantation de pins", sur le lieu-même où ont été aperçus récemment les engins de chantier. Le formulaire rempli par Jean Levakis annonce même noir sur blanc la création de 12 places de stationnement.
Ces éléments ne semblent à aucun moment pris en compte dans l'avis des autorités, qui s'en tiennent à un "ravalement de façade". Le rapport d'instruction des services municipaux de l'urbanisme précise même "stationnement : inchangé". On peut s'étonner d'une telle légèreté dans l'examen de la part de la Ville, mais aussi des services de l'État. Si la totalité du projet avait été pris en compte, c'est en fait l'accord du ministre de l'Écologie qui aurait été requis.
Et maintenant ? "On lui a demandé de déposer une nouvelle demande, car ça peut être régularisable. Si ça ne l'est pas, ça ira devant le tribunal", assure Laure-Agnès Caradec, adjointe à l'urbanisme à la ville de Marseille. Depuis sa création en 2012, c'est cependant le parc national qui est compétent pour autoriser d'éventuels travaux mais surtout l'ouverture d'une activité nouvelle dans le cœur de parc (en l'occurrence un "bar musical"). Le dossier, bien plus fourni que ceux remplis en 1998 et 2008, devra passer devant le conseil scientifique avant accord du directeur du parc national.

Un associé de Campanella

Si le passif en matière de coups de pioche n'incite déjà pas à la bienveillance, l'identité des porteurs du projet ajoute une touche vénéneuse au cocktail. En 2008, trois mois après la validation des travaux de ravalement, une partie des parts de la société civile immobilière propriétaire du terrain sont achetées par Jean-Claude Pietrotti. Comme l'avait noté La Provence, il est mis en examen par le juge Duchaine - notamment pour extorsion de fonds et blanchiment en bande organisée - dans l'un des volets de l'affaire Guérini, ascendant Campanella.
Pour compléter ce tableau certes impressionniste mais frappant, Olivier Alzine, gérant du Bazar, auparavant patron de La Maronaise, située un peu plus loin aux Goudes, est cité dans l'ordonnance de renvoi du récent procès Campanella. Il y est présenté comme "défavorablement connu des services de police". En 2010, il avait été interpellé dans le cadre du coup de filet sur le yacht où se trouvaient Gérald Campanella ainsi que Bernard Barresi et sa compagne. Son "seul tort a été de se rendre à Golfe-Juan au moment de l'opération", commentait La Provence lors de sa rapide libération. Son seul tort est peut-être ici de trop aimer la route des Goudes...
[1] Archives municipales de Marseille, cote 1231W2999. Retour.
[2] Archives municipales de Marseille, cote 1350W45. Retour.
Par Julien Vinzent, le 25 juin 2014

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